Spectacle de la compagnie La Farouche (34) vu le 15 juillet à 10 h 30 au Théâtre Artéphile dans le cadre du Festival Off d’Avignon (relâche les dimanches).
- Auteur : Sabrina Chézeau
- Mise en scène : Carmela Acuyo et Luigi Rignanèse
- Interprétation : Sabrina Chézeau
- Musique : Guilhem Verger
- Lumière : Mathieu Maisonneuve
- Type de public : Tout public à partir de 9 ans
- Genre : Théâtre Contemporain
- Durée : 1 h 15
Dans « Une peau plus loin », il ne faut que quelques secondes pour qu’un frisson nous saisisse. Seule en scène — ou presque — Sabrina Chézeau accomplit un véritable tour de force. Elle est tour à tour Victor, Lola la sœur lumineuse, Lucky et Amina les amis, le père taiseux et violent dans ses mots, la mère dépassée, les professeurs durs ou bienveillants et Gaia la terre nourricière. Elle joue avec tout son être : son corps, son regard, sa voix. En un souffle, elle passe d’un personnage à l’autre avec une aisance saisissante. C’est une parole incarnée, une humanité multiple qu’elle donne à voir et à entendre. On la regarde autant qu’on l’écoute. Chaque mimique, chaque geste, chaque inflexion de voix dessinent un caractère, une émotion. C’est bouleversant de vérité. À ses côtés, Guilhem Verger, musicien multi-instrumentiste, tisse un écrin sonore envoûtant. Percussions, nappes électro, cordes, sons captés et transformés en direct : il accompagne, relance, prolonge l’émotion. Sa présence discrète mais essentielle enveloppe le récit et ouvre des espaces de respiration et de poésie.
Le décor est d’un minimalisme maîtrisé : un simple bureau d’écolier sur roulettes devient en un clin d’œil table de classe, lit, toit, refuge. Il suffit d’un déplacement, d’un éclairage, d’une respiration musicale pour que l’espace change et que les scènes s’enchaînent avec une fluidité remarquable. Le spectacle est vivant, visuel, physique. Sabrina Chézeau crée des ambiances entières avec son corps et sa voix. Elle donne à voir l’invisible, à sentir l’étouffement ou la légèreté, sans jamais surligner.
Victor pourrait être ce garçon qu’on a croisé, ce voisin, ce frère, cet élève dont on n’a pas su voir la détresse. Victor est un adolescent écorché avec des plaques rouges, cabossé, à bout de souffle, qui trouve refuge sur les toits, dans ce qu’il croit être l’ultime échappatoire. Il n’est pas l’élève modèle, ni le fils rêvé que son père aimerait. Le texte de Sabrina Chézeau, nourri des paroles d’adolescents qu’elle a rencontrés en ateliers, refuse les clichés et les explications toutes faites. Ici, personne n’est tout blanc ou tout noir. Les parents, maladroits ou dépassés, tentent tant bien que mal de tenir debout. Les amis sont ces éclats de lumière dans une nuit trop longue. Et puis vient ce basculement. Quand le conte s’invite dans le réel. Quand Gäia, la nature nourricière, les ancêtres et les légendes, viennent apporter à Victor des ressources invisibles. j’ai aimé ce passage du tangible à l’onirique qui est d’une beauté rare. Il nous rappelle que même dans la pire des douleurs, subsiste en chacun de nous une part de vivant, un souffle, une beauté à faire grandir. Que la résilience ne passe pas toujours par le pardon, mais par la transformation.
Le leitmotiv du spectacle, « Que faites-vous de la beauté qui est en vous ? », résonne longtemps après que la lumière se soit éteinte. On ressort bouleversé, questionné, ému. « Une peau plus loin » n’est pas un simple spectacle, c’est une expérience humaine. Une invitation à regarder autrement nos propres blessures et celles des autres. Un appel à faire triompher le vivant, le vrai.
J’ai adoré ce spectacle qui ouvre notre imaginaire et nous emmène dans un récit rempli de poésie et un peu onirique, où les personnages trouvent la force de sortir des blessures du passé et de briser les cercles qui se répètent.
Un immense merci à Sabrina Chézeau, comédienne et conteuse, pour son interprétation magistrale, humaine et vibrante, et à Guilhem Verger pour ce subtil et puissant accompagnement sonore. Tous deux nous ont offert un spectacle rare, où l’émotion affleure et où la résilience prend corps sous nos yeux.
Et à voir, en fin de représentation, les yeux brillants dans la salle, vite essuyés, les sourires mêlés à une émotion palpable, on comprend que ce spectacle a touché juste, là où il fallait.
Un moment à partager, à transmettre, à garder au creux du cœur.
Ouvrez vos coeurs et allez voir ce merveilleux spectacle.
Claire Thomas