ROBERTO ZUCCO

Note 3 étoiles

Spectacle de la compagnie Le Collectif 13 (84) vu le 16 juillet à 22 h 30 au Théâtre Girasole dans le cadre du Festival Off d’Avignon.

 

  • Auteur : Bernard-Marie Koltès
  • Mise en scène : Rose Noël
  • Interprétations : Lola Blanchard, Simon Cohen, Laurence Côte, Suzanne Dauthieux, Maxime Gleizes, Axel Granberger, Akrem Hamdi, Rose Noël, Thomas Rio, Melie Torrel
  • Scénographie : Mathilde Juillard
  • Type de public : Adultes à partir de 14 ans
  • Avertissement : Haut volume sonore, violence physique, présence de sang ou de scènes de torture, violence sexuelle.
  • Genre : Théâtre Contemporain
  • Durée : 1 h 30

 

Dès mon entrée dans la salle, j’ai senti que quelque chose allait déborder. La lumière rouge, la musique live, l’ambiance de boîte de nuit : le cadre était posé. On nous invitait à monter sur le plateau, à danser, à prendre part à un concert. Pas de quatrième mur. Pas de distance. Le spectacle avait déjà commencé, et nous en faisions partie. Ce Roberto Zucco, mis en scène par Rose Noël, m’a immédiatement happée. Il résonne très fort avec notre époque, avec ses tensions, ses violences sourdes, ses silences aussi. Et je n’étais visiblement pas la seule à ressentir ça : la salle était pleine de jeunes spectateurs, trentenaires pour la plupart, qui semblaient eux aussi venus chercher un théâtre intense et vivant, qui interroge et qui dérange.

Le texte de Bernard-Marie Koltès, inspiré de la cavale d’un jeune tueur dans les années 60, devient ici un récit éclaté, presque mythologique. Le plateau est d’abord nu, habité seulement par deux musiciens. Mais rapidement, les corps prennent le pouvoir. Axel Granberger, dans le rôle de Zucco, est d’une intensité folle. Grand, blond, les yeux clairs, il dégage une force magnétique. Même couvert de sang, il fascine. Il court, grimpe, se faufile dans les recoins, surgit parmi nous, disparaît au plafond. Il est partout et nulle part. Le public ne sait jamais où il est vraiment — et c’est vertigineux.

La mise en scène transforme littéralement le théâtre en prison. Les deux figures d’autorité — inspecteurs, policiers, agents de sécurité — accompagnent les spectateurs du début à la fin, veillent, surveillent, protègent, ou enferment ?.  On étouffe un peu. Et c’est voulu. Le spectateur est pris dans le piège. Il n’est jamais mal à l’aise, mais toujours impliqué, toujours observé. Jusqu’à devenir complice de Zucco. C’est là tout l’enjeu : ce spectacle nous met face à notre passivité, à notre silence, à ce que nous ne faisons pas quand nous sommes témoins.

Ce que j’ai trouvé remarquable aussi, c’est l’extrême dépouillement de la direction d’acteurs. Pas de décor superflu, pas d’accessoires. Juste la langue de Koltès — dense, charnelle, violente — et des comédien·nes pour la faire vibrer. Rose Noël leur demande d’aller vers le texte, de le faire vivre, sans jamais l’édulcorer. Pas de réalisme mou. Pas de quotidien. Ici, chaque mot se dit avec le corps entier. La musique – chant, violon, guitare, percussions – crée des ambiances puissantes, qui ancrent l’action dans une Italie rêvée, charnelle et violente.

Et quelle troupe. Axel Granberger est formidable dans ce rôle exigeant, mais il est entouré de comédiens et comédiennes tout aussi intenses. La Gamine, la Mère, la Bourgeoise… Les femmes dans cette pièce m’ont profondément touchée. Elles sont toutes prises dans des rapports de domination, de violences subies, de solitude. La Gamine semble enfermée bien avant de croiser la route de Zucco. La femme bourgeoise vit sous l’emprise d’un mari brutal. La mère, elle, crie sa douleur sans que personne ne l’écoute. À travers ces portraits, c’est une société entière que la pièce interroge. Et l’amour, sous toutes ses formes — filial, conjugal, amoureux — semble ici voué à l’échec.

Certaines scènes me hantent encore : la rencontre électrique entre Zucco et la Gamine, presque animale ; la séduction sous la table, avec les ombres d’oiseaux projetées ; et cette image finale, inoubliable, de Zucco enfermé dans sa cage, regardant vers le haut, rêvant d’évasion. Un héros ou anti héros tragique des temps modernes. Ce Roberto Zucco est une expérience. Un théâtre total, physique, organique, animal. Une mise en scène radicale et brillante, un acteur incandescent, une troupe généreuse. J’en suis sortie sonnée, questionnée, bousculée. Et c’est exactement ce que j’aime dans le théâtre.

 

Claire THOMAS

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