Spectacle de la compagnie fréquence 234 (93) vu le 07 juillet 2025 à 13 h au Théâtre des barriques dans le cadre du Festival Off d’Avignon.
- Auteur: Pauline Peyrade
- Mise en Scène : Léa Marcilloux
- Interprétation : Clara AIT-ALI, Nathan MARTIN, Farah NAAMOUNE
- Musique : Vincent GEOFFROY
- Création Lumière : Amandine VOIRON
- Durée : 1 h
- Public : A partir de 15 ans
- Genre : Théâtre contemporain
Poings est une pièce d’une intensité sidérante, à l’image même d’un coup de poing porté au cœur. Le décor, ultra minimaliste — un drap blanc tendu en fond sur un sol immaculé — fait office de double fonction : mur contre lequel la protagoniste se heurte, mais aussi cage mentale où elle est piégée. Ce mur écran symbolique reflète l’enfermement progressif, physique et psychologique, qu’impose l’homme qu’elle aime.
La scène, exiguë, accentue cette claustrophobie : chaque geste, chaque parole résonne dans un espace réduit qui nous enferme avec elle. Les répétitions de textes, les phrases obsédantes qu’on entend et ré-entend, sont autant de coups portés contre sa volonté. Le rythme frénétique, tel un tourbillon, nous emporte dans l’engrenage de l’emprise, jusqu’à nous faire perdre pied dans cette spirale.
J’ai aimé, l’alternance entre ce décor épuré — drap blanc et espace exigu — et la brutalité omniprésente des mots et gestes. Le jeu des comédiens, très juste et intense, fait résonner chaque silence autant que chaque cri intérieur?: on ressent l’emprise, la tension, l’amour et la peur en simultané. La musique live rythme la pièce avec puissance, ponctuant chaque tableau et résonnant en nous comme un écho persistant du traumatisme vécu — un choix artistique intelligent et émouvant .
La violence n’est jamais montrée frontalement, elle est suggérée, indiquée, mais elle est toujours là, palpable entre l’homme et la femme. Cette suggestion permanente donne à la pièce une élasticité émotionnelle : elle s’immisce en nous, sans tout révéler, et c’est cette insinuation qui rend le propos si fort . Dans un passage particulièrement saisissant, une comédienne incarne l’ombre chinoise, projetant le spectre de la violence conjugale tandis que l’autre, en lumière, raconte en voix off la brutalité latente. Cette dichotomie entre ombre et parole crée un hiatus troublant?: l’horreur est là, indicible et pourtant cruellement présente dans ce contraste.
Cette pièce en 5 tableaux (de la rencontre jusqu’à la résilience) nous interroge en profondeur sur les notions d’emprise et de violences conjugales. Ce sont des thématiques régulièrement abordées, mais ici, le spectacle nous invite à ressentir de l’intérieur cette perte de repères progressive, cette violence physique et psychologique, et ce basculement où l’on comprend qu’on n’est plus maître de sa vie, qu’elle est régie par un autre. Peut-il exister de l’amour véritable sous emprise, quand l’un prend le pouvoir et l’autre devient objet, dominé, effacé? La réponse semble éclater en filigrane?: non. Car il s’agit d’un rapport de force, d’un jeu de domination dont il faut parvenir à s’extraire. Ce spectacle bouleversant parle de courage, de choix, de confiance en soi et de la nécessité absolue de poser des limites, de s’estimer et de se libérer.
Bravo aux comédiennes remarquables, tout comme le comédien et le musicien formant ainsi un quatuor puissant et cohérent.
Claire Thomas