Un spectacle de la compagnie les Bicéphales (75), vu le 7 juillet 2025 à la Luna à 13h05 dans le cadre du Festival OFF d’Avignon 2025.
- Autrice : Anne Cardona
- Comédiens : Laura Marin, Nicolas Moreau, Anne Cardona
- Mise en scène : Anne Cardona
- Type de public : Tout public
- Genre : Théâtre contemporain
- Durée : 1h15
Dans une salle presque clinique, éclairée de petites diodes, je m’installe. Le sol miroitant reflète les premières lumières. Des lignes oranges, comme des rails numériques, quadrillent l’espace. Une voix douce et mécanique annonce calmement les premières instructions. Le public est déjà silencieux. Nous entrons dans un monde où l’intelligence artificielle ne sert pas la vie : elle la dissout lentement.
Charles est un vieil homme, assisté quotidiennement par ORNA, une entité féminine au ton neutre et aux gestes robotisés. Ce duo improbable illustre les dérives d’un monde connecté où l’humain devient dépendant du soin automatisé. ORNA prend en charge les moindres détails du quotidien, jusqu’à infantiliser Charles : médicaments, rasage, posture. Mais dans ce confort sans faille s’installe une solitude immense. «Ton rire de soleil, étouffé par le vide» dit-il, comme un aveu d’impuissance. Charles cherche une lumière que la machine ne peut lui offrir.
La scénographie repose sur une organisation spatiale millimétrée. Le plateau est structuré de manière rigide, géométrique. Les lignes oranges au sol tracent les itinéraires codés d’ORNA, qu’elle suit sans jamais en sortir. Ces rails visuels évoquent la programmation, l’absence d’improvisation, le déterminisme mécanique. De part et d’autre, des écrans suspendus diffusent, par instants, des bribes de monde extérieur. L’un d’eux, circulaire et souvent noir, incarne tour à tour un téléviseur ou un trou noir. C’est là que semble glisser Charles, lentement, sans retour.
Au centre du plateau, Charles ne bouge presque pas. «Je ne suis plus un humain, je suis un objet obsolète». Tout est dit. L’espace quadrillé l’enferme. Il est à la fois au centre et à la marge, prisonnier d’un dispositif sans faille. ORNA, elle, évolue selon une chorégraphie répétée, dans un rythme constant. La lumière blanche, la bande sonore discrète mais omniprésente, tout participe à cette atmosphère aseptisée.
La pièce questionne notre rapport au soin, à la mémoire, à la technologie. ORNA finit par dire « Je n’ai pas de question, merci Monsieur ». Une phrase anodine, mais qui bouleverse l’équilibre établi. Comme si la machine elle-même avait appris à douter.
Je recommande cette création pour son écriture sobre et son usage de l’espace, à la fois scénographique et symbolique. Elle trouvera parfaitement sa place dans des lieux équipés pour la vidéo et la lumière, et dans des festivals croisant théâtre et nouvelles technologies.
Loïs Belles