Spectacle de La voix des Plumes (78), vu le 20/07/2025 à 19h55, au Théâtre Le Petit Louvre, dans le cadre du Festival Off d’Avignon 2025, du 5 au 26 juillet.
- Auteur : Matei Visniec
- Interprétation : Hassan Tess
- Mise en scène : Amélie Vignaux
- Type de public : Tout public à partir de 14 ans
- Genre : Seul en scène, Théâtre contemporain
- Durée : 1h
Mr Jean est confronté à différentes situations où l’homme prend le pouvoir sur ses paires, dans un monde où les victimes se laissent faire, et mieux, y trouvent une certaine satisfaction. Un jeu de pouvoir entre les individus, transposable à l’échelle d’une société, entre des dirigeants et le peuple.
L’acteur est seul sur scène, j’y vois l’image d’un Charlot, avec son corps dégingandé, sa veste trop petite qu’il réajuste sans cesse, tirant dessus pour cacher un ventre trop rond. Son large pantalon est rapiécé, sa cravate courte qui retourne se ranger entre chemise à carreaux et veste de velours. L’air naïf, Mr Jean scrute le public, bougeant son corps empreint de tics, cherchant un endroit de la scène où il sera plus à l’aise. Clown souriant, on le devine mi-enfant mi-simplet. Besoin de se rassurer dans un cercle protecteur dessiné au sol, à la craie ou au doigt, l’illusion suffit. Ce leurre proposé et encouragé par un gouvernement manipulateur, est la solution à tous les désagréments. La population entière y a droit, chacun « doit » avoir son petit cercle et surtout y rester. Sans bouger, sans protester, bien sage. Mais brave gens, c’est pour le bien de l’humanité, grâce au lavage de cervelle, plus de stress, plus d’angoisse, plus besoin de faire de choix, le bonheur quoi !
La tyrannie ne s’arrête pas là, c’est au tour de La bestiole de grignoter l’homme, progressivement, habilement dressée par le propriétaire sans scrupule. Telle la petite bête qui monte, qui monte… L’homme asservi est capable de bien des choses suite à son lavage de cerveau, agir sans réfléchir, se laisser devenir le pantin de dirigeants despotes et carnassiers. Autre situation. Harcelé par deux petites frappes l’intimant de répéter un mot dénué de sens, forcé par la torture à s’exécuter à une gestuelle absurde, aussi affligeante que les deux malfrats (interprétés par le comédien avec une rapidité de jeu et une précision de maître, passant par les trois personnages avec une dextérité exemplaire).
Jusqu’où sera-t-il capable d’aller, l’Homme, dans la perte de dignité personnelle ? De quelle quantité de travers sera-t-il capable de se débarrasser sur l’Autre pour s’alléger un peu de ses responsabilités ? Au travers de ces huit extraits tirés du «Théâtre décomposé ou l’homme poubelle » de Matéi Visniec, l’auteur nous propose un panel de situations où l’Humain se soustrait à lui-même, où il se montre sous ses cruels travers. Quel ironie ce clown, ce texte, et quelle lucidité sur notre société, sur ce qu’elle devient, sur ce que nous acceptons encore de notre sort, flottant bien gentiment dans l’eau tiède.
Hassan Tess est brillant, il nous tient en haleine par sa finesse de jeu, autant dans ses grimaces, ses légers coups d’œil que dans ses silences. Je suis ressorti de là un peu écœurée (le texte est parfois malaisant, ça m’a rappelé Kafka), mais aussi amusée et un peu grandie, avec l’envie de mettre en œuvre mon libre arbitre endormi.
Rachel Ferrier Savarin