Les corps incorruptibles

Note 4 étoiles

Spectacle produit par La Compagnie le désordre des choses (63), vu au Théâtre de la Bastille (75)  le 12 novembre 2025.

  • Conception et jeu : Aurélia Lüscher
  • Participation : Nadia Skrobeck-Lüscher, Xulia Rey Ramos et Ponyo
  • Collaboration scénographie et corps : Arnaud Louski-Pane
  • Collaboration artistique et dramaturgie : Mélissa Zehner, Céline Nidegger, Guillaume Cayet
  • Conseils plastiques et céramique : Aline Morvan
  • Création  lumière : Juliette Romens
  • Régie générale et plateau : Xulia Rey Ramos
  • Création son : Antoine Briot
  • Genre : Théâtre contemporain
  • Public : Spectacle adulte
  • Durée : 1H20

 

« Des corps incorruptibles », je n’avais lu que le synopsis. C’était un pari un peu risqué. De fait, j’ai découvert un travail d’une rare intelligence et sensibilité.

Une mère, d’abord en voix off, et sa fille discutent de la vie, de la mort. De la mort surtout qui intrigue Aurélia Lüscher depuis son plus jeune âge. Pour questionner sa place dans la société contemporaine, l’apprivoiser  dans la perspective de la mort à venir de sa mère et se la réapproprier, la mort, collectivement et individuellement, Aurélia Lüscher a mené une enquête avec passage obligé aux pompes funèbres. « Les corps incorruptibles » est le compte rendu de ses recherches.

« Les corps incorruptibles » pourrait se réduire à du théâtre documentaire. Il va bien au-delà ! En huit tableaux (dialogue mère/ fille sur la mort ; la thanatopraxie en trois leçons ; la restitution en voix off de son entretien avec le sénateur Jean-Pierre Sueur ; le double déni de la mort ; la réappropriation et la tradition de l’effigie), Aurélia Lüscher construit un spectacle complet, drôle, exigeant ; politique et poétique.

Pour raconter la mort et surtout la voir, rien de mieux qu’une vaste mise en abyme ! Et l’idée de génie est d’avoir conçu un décor et des accessoires  qui permettent à Aurélia Lüscher d’être le thanatopracteur et le public, son stagiaire.

Le décor est, de prime abord, des plus banals : un sol blanc, des néons, un escabeau,  une cloison faite de papier et que la comédienne, en bleu de travail, quadrille à l’entrée des spectateurs. Dès le deuxième tableau, Aurélia Lüscher découpe deux espaces prédéfinis. Apparaissent à cour, une porte de chambre froide et à jardin, un évier en inox. De la «chambre froide », elle extrait un chariot de préparation  avec un cadavre démembré, en argile. La démonstration peut commencer, tout à la fois hilarante et grave. Tout est l’avenant et dans le moindre détail. Un des chariots fera fonction de caveau pour une opération d’exhumation-réduction ; le papier restant de la paroi permettra une superbe démonstration dessinée de notre double déni de la mort. Tandis qu’il faut récupérer un corps passé sous les rails, l’urgence  est traduite par la lumière stroboscopique et le clignotement rouge du panneau exit. Le rythme est enlevé grâce au jeu malicieux, sonorisé et de très haute tenue. Il est soutenu grâce à l’intervention régulière et détendue de la régisseuse plateau, du régisseur son et de la chienne Ponyo. La mort est omniprésente dans le spectacle puisqu’elle en est le sujet et pourtant la vie est partout, enjouée et surprenante. Démonstration faite que le cycle de la vie dédramatise la mort.

« Les corps incorruptibles » mettent en scène, de façon magistrale, LA question qui taraude l’humanité depuis toujours. Aurélia Lüscher signe un spectacle qui fera date. Quant à moi, je suivrais désormais son travail.

 

Catherine Wolff

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