L’apparence des choses

Note 3 étoiles

Spectacle de la compagnie des rêveuses (37), vu le 15 juillet à 10 h 40 au théâtre des Lila’s dans le cadre du festival d’Avignon 2025.

 

  • Écriture : Alison Demay, Franck Dunas
  • Mise en scène : Alison Demay
  • Interprétation : Alison Demay, Alexis Debieuvre
  • Composition : Franck Dunas
  • Régie : Marie Semsari-Nejab
  • Durée :1 h 05
  • Public : Tout public
  • Genre : Théâtre

 

La compagnie des rêveuses signe ici son tout premier spectacle dans ce joli petit théâtre avignonnais dédié aux écritures féminines. Et pourtant, j’assiste à une œuvre d’une belle maturité portée par des acteurs solaires et complices.

Sur scène rien d’extraordinaire : une table, deux chaises, quelques livres sur une étagère, un minuscule bureau avec ordinateur. Une guitare en fond de scène, attend patiemment. On sait qu’elle va jouer. Il y aura de la musique.
Dés les premières répliques le ton est donné. Un jeune couple aménage dans son premier appartement. Deux artistes. Lui est musicien, elle est écrivaine. Amoureux, joyeux, complices, et cependant pris chacun dans l’exigence de son travail d’artiste. Elle, active, productive, chaleureuse et inspirée, lui besogneux, lunaire, attentif et inquiet. Les débuts d’une vie d’adultes. Comment faire co-habiter ces deux bulles de solitude ? Comment concilier ces deux caractères opposés ? Grincements, premières frictions, petits aménagements, réconciliations.
Mais rapidement le récit se trouble par l’annonce d’une maladie incurable puis la mort du partenaire. Cette fissure dans un présent insouciant va faire basculer la pièce vers une réflexion sur l’absence, le souvenir des temps heureux, la solitude nécessaire à toute traversée importante dans la vie et au travail de mémoire. La question posée n’est pas vraiment celle du deuil, mais plutôt, selon moi, comment faire avec la part manquante avec laquelle toute vie doit composer. Cette part manquante structurelle qui impulse à celui, à celle qui reste, l’opportunité de s’ouvrir au monde et de continuer à désirer.
Le grand mérite de cette première œuvre est d’aborder ces questions importantes avec une générosité et une intelligence bouleversantes. C’est un hymne à la joie de vivre, et d’être vivant.
Il n’y a pas de discours surplombant ni de propos nostalgique sur le manque de l’autre mais une construction dramaturgique dynamique dans les flash-backs, nous amenant à ressentir plutôt qu’à comprendre, comment le passé et le présent sont intimement tissés. La mémoire comme lieu du jaillissement de la création.
La musique, on s’en doutait, est présente sur scène. Elle a une belle part dans le façonnage mental de rendre présent l’absent. Mais il y a aussi le chant comme poésie. Et c’est une belle surprise d’entendre ce duo nous régaler de quelques chansons superbement bien chantées et quasiment élaborées devant nous dans leur studio/laboratoire. C’est leur talent de nous le faire croire.
Si c’est une première œuvre en tant qu’autrice et metteuse en scène pour Alison Demay, les deux acteurs, Alison Demay elle-même, et Alexis Debieuvre, ont déjà un parcours bien rempli. C’est par leur grande finesse et vivacité de jeu, leur naturel dans les dialogues, leur habileté à habiter le plateau sans effets de manche, leur présence habitée, et leur franche conviction que l’on reconnaît, et que l’on apprécie, leur grand métier d’acteur et d’actrice.
Je dis bravo à cette pièce toute en subtilité, et délicatesse qui sans en avoir l’air, nous mène sur les chemins mouvants et parfois paradoxaux, de la construction de soi.

Madeleine Esther

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