Il étouffe des perroquets

Note 3 étoiles

Spectacle du Collectif Form’action (84), vu à la Maison Jean Vilar (Avignon) le samedi 22 novembre 2025 à 15 h, dans le cadre d’une sortie de résidence.

  • Auteur : Jean Vilar
  • Metteurs en scène : Lucia Pozzi, Fabien Duprat
  • Acteurs : Khalida AZAOM, Emmanuel BAILLET, Gianna CANOVA, Corinne DERIAN, Fabien DUPRAT, Lucia POZZI.
  • Durée : 50 minutes
  • Genre : Théâtre / Bouffonnerie
  • Public : Tout public à partir de 15 ans

 

La Maison Jean Vilar a ouvert ses archives à l’actrice et metteuse en scène Lucia Pozzi. Elle y découvre une vingtaine de pièces écrites par l’homme de théâtre, fondateur du Festival d’Avignon dont la plupart n’a jamais été éditée, et aucune jouée. Belle découverte, car qui connaît Vilar auteur de pièces de théâtre ?!

« Il étouffe les perroquets » est donc jouée pour la première fois ce samedi 22 novembre par le collectif d’acteur-trices, Form’action, sous l’impulsion de Lucia Pozzi, actrice et metteuse en scène. Depuis deux ans, ce collectif se retrouve une fois par mois dans différents théâtres d’Avignon, pour travailler leur art d’acteur et d’actrice.

La pièce est courte, une vingtaine de pages. Jean Vilar s’est inspiré d’un conte de Charles Monselet, critique littéraire et homme de lettres parisien de la fin du XIXème siècle.

Cette bouffonnerie, selon les notes de l’auteur lui-même, qui rêvait d’un théâtre moderne et vraiment populaire, s’inscrit sur un thème beaucoup plus grave qu’il n’y paraît, l’alcoolisme et ses dérives. En effet, « Étouffer les perroquets » signifie « s’enfiler un godet d’absinthe derrière la cravate ». La couleur verte du plumage de l’oiseau faisant référence au vert bien connu de cette boisson très répandue dans les classes populaires, et qui fut interdite officiellement dès 1915 à cause de sa toxicité avérée.

La grande originalité de la proposition de Lucia Pozzi est d’être montée dans la même soirée, successivement par deux metteurs-e en scène, chacun présentant sa vision personnelle de cet étonnant ouvrage littéraire, avec une distribution commune de 6 comédiens. Deux pièces en une !

Et, je dois dire, pour mon plus grand bonheur.

Les deux metteurs en scène ont travaillé en complicité, et ça se voit. Il n’y a pas de redondances. Chacun développe son style propre, s’autorisant une liberté de lecture réjouissante, quitte à modifier le texte de ci de là.

Fabien Duprat ouvre le bal avec une première version de la pièce totalement déjantée. L’univers (ici très symbolique) de l’hôpital psychiatrique qu’il colle à la pièce, lui permet de renverser les conventions. L’alcoolique n’est plus un homme mais une femme. Cette jeune comtesse trompe un ennui mortel en dialoguant autour de la bouteille tant convoitée, avec son double. Cette sorte de « moi » tantôt partenaire de boisson, tantôt contrôleur et censeur est l’occasion d’un jeu chorégraphique savoureux. Alors que l’homme, nommé XY, devient infirmier psychiatrique en proie à un soliloque avec un double/machine créant une relation parfois bien intime et audacieuse.

Lucia Pozzi, elle, renoue avec la tradition du clown qu’elle connaît bien. Elle s’est formée et a longtemps travaillé au Piccolo Téatro de Milano auprès de Georges Strelher. Elle abolit le quatrième mur, et nous plonge dans l’univers burlesque de deux femmes clowns, regardant ce monde étrange des adultes à travers l’innocence supposée de leurs yeux d’enfants.

Et voilà comment ce petit argument de pièce est porté avec brio par une bande d’acteurs expérimentés, tous excellents, maîtres et maîtresses de leur art, joyeux, impertinents, inventifs, nous contaminant de leur vitalité. Sur le plateau, l’élégance du minimum nécessaire, un guéridon, plus ou moins deux chaises. Ici, c’est le jeu qui prime. Les didascalies dites à haute voix par les metteurs en scène présents dans le jeu suffisent à activer nos imaginaires.

J’ai ri de voir ces personnages en prise avec leurs travers, et je me suis régalée de cette qualité d’acteurs matures, qui joue si sérieusement les dérives humaines, sans se prendre au sérieux. J’ai pensé à Charlie Chaplin, Buster Keaton, le cinéma muet, la Commedia Dell’Arte. C’est intelligent, c’est drôle parce qu’intelligent. Il faut cette qualité d’acteurs, qui vient souvent avec la maturité, pour faire passer autant de finesse et de niveaux de lectures, mine de rien.

Je me suis dit que des élèves de lycées à option théâtre auraient grand bénéfice à rencontrer cette « troupe » là, et à interroger, à partir de ce petit bijou sans prétention de Jean Vilar, ce qu’est une mise en scène, ce qu’est une dramaturgie, ce qu’est une vision d’artiste, ce qu’est un jeu d’acteur. Voilà qui ferait un bien joli projet !

En attendant, espérons que la Maison Jean Vilar renouvellera l’invitation à cette troupe de circonstance, pour offrir de nouveau à son public cette farce étonnante si prestement menée, pour notre plus grande joie.

 

Madeleine ESTHER

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