Un spectacle produit par Les Chiens de Navarre (75), vu à la Grande Halle de la Villette (75) le 5 décembre 2025, à 20h.
- Mise en scène : Jean-Christophe Meurisse
- Comédiens : Delphine Baril, Lula Hugot, Charlotte Laemmel, Anthony Paliotti, Gaëtan Peau, Georges Slowick, Fred Tousch
- Scénographie : François Gauthier-Lafaye
- Régie générale et plateau : Nicolas Guellier
- Création et régie costumes: Sophie Rossignol et Corinne Paupéré
- Création et régie lumière : Stéphane Lebaleur
- Genre : théâtre
- Public : Adulte (à partir de 16 ans)
- Durée : 2 h
Quand Les Chiens de Navarre sont à l’affiche, je ne réfléchis pas, je cours. J’ai eu un peu peur en découvrant le thème du spectacle à l’arrivée à la grande Halle : les violences faites aux femmes. Les Chiens de Navarre ne feraient assurément pas dans la dentelle. Ils ont tenu ce cap mais avec tout l’art qui est le leur.
« I will survive » raconte l’histoire de Madame Gallot, depuis son entretien avec la directrice d’école qui s’inquiète de la dégradation de l’état du petit Lucas jusqu’à son procès en appel pour avoir tué son mari violent. Parallèlement, on suit les déboires d’un humoriste vieillissant, représentatif de la gente masculine de son époque et qui n’a pas su prendre la mesure de cet enjeu sociétal.
Sociétal et politique. Car ce que j’apprécie particulièrement chez les chiens de Navarre, c’est non seulement leur engagement mais encore leur parfaite connaissance de l’actualité. Madame Gallot est évidemment inspirée de Jacqueline Sauvage quand notre humoriste officie sur une radio dont le logo et les démêlés trahissent France Inter. Les références à l’actualité politique sont omniprésentes ; les informations, sourcées, concernant les violences faites aux femmes aussi.
Pour aborder ce sujet dramatique, « I will survive » alterne les scènes désopilantes d’insolence satyrique et les scènes d’une intensité émotionnelle tout juste supportables. Les sept principaux comédiens, sonorisés sont d’une justesse incroyable dans tous les rôles qu’ils endossent. Pour certaines séquences, ils sont assistés de figurants mais aussi du public, appelé à participer sous différentes formes.
Le spectacle est si riche qu’il est difficile d’en raconter davantage. Il faut d’abord voir le dispositif scénique, très ingénieux. Une structure rectangulaire à un étage crée trois plateaux : l’avant scène et la scène, la mezzanine qui fait office de bureau pour la radio ou la police, une ouverture en profondeur pour dessiner un extérieur arboré. Quelques accessoires apportés au fur et à mesure par les régisseurs, la bande son, les costumes et la lumière complètent les atmosphères voulues : le bureau de la directrice d’école, le studio radio, la maison du couple, la prison, le tribunal, le bureau du Président de la République. Le réalisme ainsi obtenu soutient une parole claire et notamment une dénonciation de la France qui ne reconnaît toujours pas le syndrome de la femme battue.
Malgré quelques longueurs sur deux-trois scènes, « I will survive » est un spectacle essentiel. Il n’échappe pas pour autant à quelques questions éthiques. Fallait-il jouer la scène domestique du viol et de la violence conjugale au risque de banaliser ce type de comportement et/ou de raviver les blessures d’une spectatrice concernée. Le spectacle parle fort heureusement du consentement. Les chiens de Navarre nous ont habitués depuis longtemps aux scènes de nudités outrées. Mais dans ce cas là précisément, était-ce vraiment nécessaire ? A moins de vouloir nous faire éprouver précisément le non-consentement ? Je ne fais que rapporter ici les questionnements que ma fille cadette, âgée de 24 ans, a soulevés et que je trouve particulièrement pertinents.
« I will survive » est un spectacle d’utilité publique, dans la verve déjantée et politique des Chiens de Navarre. Je regrette qu’ils ne jouent pas plus longtemps. J’y serais volontiers retournée.
Catherine Wolff