Spectacle de la compagnie Paizo (75), vu le 8 juillet à 15 h 45 au théâtre de l’Adresse dans le cadre du festival d’Avignon.
- Texte et mise en scène : Clara JAUVART-LACOSTE
- Interprétation : Louis DJABALI, Cécile GARNIER, Corentin GEROLD, Clara JAUVART-LACOSTE, Léa MICHELOT
- Lumières : Ugo BUSSI
- Genre : Théâtre Contemporain
- Public : A partir de 14 ans
- Durée : 1 h 20
Du 5 au 26 juillet relâche les 8, 15 et 22 juillet
Je ne savais pas qu’il s’agissait de la première création de cette toute jeune compagnie portée par une toute jeune metteur en scène, sortie il y a deux ans à peine du cours Florent. Une découverte.
De l’Illiade d’Homère, et de la guerre de Troie qui est le cœur de cette épopée grecque, Clara Jauvart-Lacoste, autrice du texte, metteuse en scène et actrice dans la pièce, ne retient que quelques éléments très clairement exposés en prélude, agréable attention pour ceux qui auraient, comme moi, quelques lacunes sur le sujet. L’impétueux et jeune Achille, héros rendu (presque) invincible par sa mère, la néréïde Thétis, nymphe océane, (on se souvient du talon d’Achille qui causera sa perte) refuse la perspective d’une vie longue et protégée de monarque au service de la cité que lui fait miroiter sa mère qui veut le garder vivant. Il veut se lancer dans le combat, même si ce n’est pas le sien. Cela seul lui garantira la renommée par une mort précoce mais héroïque. Le poète aura la mission de retranscrire ses hauts faits de guerre aux générations futures. On ne peut pas lui donne tort, puisque c’est exactement ce que fait Homère dans son poème L’Illiade, que nous connaissons encore aujourd’hui 3500 ans après et qui sert de socle à l’écriture du spectacle de cette jeune compagnie auquel nous assistons. Puis vient Patrocle, l’ami d’enfance d’Achille, bon et mesuré, d’avantage présenté ici comme serviteur, voire comme soignant sur les champs de bataille, que comme amant. Et enfin les deux sœurs, Briséïs et Chriséïs. Dans certains récits mythologiques elles sont cousines. Mais peu importe, depuis le temps les liens se sont floutés. La première est l’esclave bien-aimée d’Achille. La seconde est prêtresse du temple d’Apollon. Elle a été capturée par Achille lors d’un affrontement dans Troie et offerte au puissant roi des rois, le grand chef, l’impitoyable grec Agamemnon.
Cette guerre est une bonne aubaine pour ce chef de guerre. Il instrumentalise le conflit autour d’Hélène, la plus belle femme du monde, dit-on, épouse de son frère Ménélas, sa belle-sœur donc, enlevée par le jeune et frêle troyen Pâris, foudroyé d’amour pour elle. Il lève une armée pour laver l’affront, réunit autour de lui l’ensemble des rois des cités grecques, dont Achille, afin de soumettre la cité troyenne à sa domination. A l’issue de maintes péripéties, on sait que Troie sera détruite et disparaîtra à jamais.
Mais tout ce fond d’histoire n’est pas dans HUBRIS. Nous ne verrons ni Hélène, ni Pâris, ni Agamemnon, ni Ménélas. Tout cela est une sorte de hors champ au service d’une intrigue autre, de celle qui s’intéresse aux petites gens.
Car si le poète fait la part belle aux guerriers, héros, dieux et déesses, faits d’armes et autres conflits d’honneur, de gloire et d’orgueil, ici, l’autrice donne corps et voix à trois femmes, deux esclaves, et une mère, et à deux hommes, un fils guerrier et un dominé.
Deux femmes, qui avant d’avoir été soumise en esclavage étaient libres, fières, intelligentes. Nous les suivons au plus près de leur destin, habitées par des sentiments complexes, contradictoires, tout aussi démesurées dans leurs vœux de vengeance des outrages subis ou leur mouvement de désir envers leur geôlier, à qui elles se donnent, que les hommes/héros.
Voilà l’Hubris, cette démesure, notre pire ennemi dans la quête du bonheur. Rien n’est simple dans l’humaine condition et les trahisons les plus violentes nous viennent forcément de ceux que nous aimons le plus.
C’est autour de ces mouvements affectifs complexes, autant chez les hommes que chez les femmes, que se noue l’intrigue que nous propose l’autrice.
Le décor est très astucieux dans sa simplicité. Dans le premier temps de l’exposition du conflit, une immense toile couleur sable, à plusieurs pans accueille l’action. Elle évoque les tentes du désert, créant une ambiance légèrement exotique, tout en enveloppant les protagonistes d’un cocon protecteur, un tantinet utérin. Dans la deuxième partie, où l’hubris se déchaîne, la toile protectrice est comme déchirée dévoilant l’espace entier du plateau où seul un fauteuil trône en fond de scène, indiquant clairement à quel endroit les actes des uns et des autres se décident ; chacun étant animé par l’égoïsme de sa propre douleur et orgueil, sans soucis des conséquences. C’est à la fois subtil et efficace.
Une mention particulière est à noter quant au jeu des acteurs. Il y a quelque chose du cinéma dans l’ensemble de la direction d’acteur. C’est juste et habité, comme quand on marche sur une crète. Pas de surjeu, pas de déclamation, pas de hurlements vociférant, mais un rythme de dialogue rapide, intense, vivant qui suit l’urgence des corps et de ses émotions sans pour autant craindre les silences. Chaque acteur joue plusieurs rôles avec une capacité de transformation impressionnante. Beaucoup de scènes nous prennent aux tripes.
J’ai particulièrement aimé la composition dramaturgique de l’ensemble. Un mélange des genres et des époques est très bien venu, avec des intermèdes plus légers, humoristiques qui reposent de l’intrigue principale et l’éclairent à la fois. J’ai pensé à Shakespeare, au théâtre Nô. Il y a une certaine insolence de faire feu de tout bois.
L’ensemble est brillant, audacieux, intelligent, documenté, portés par des acteurs investis dans une forte présence. C’est jubilatoire de voir la nouvelle génération du théâtre s’emparer de nos classiques et les triturer à bras le corps pour explorer des thèmes d’aujourd’hui.
Bravo.
Madeleine ESTHER