Henriette ou la fabrique des folles

Note 3 étoiles

Spectacle de la Compagnie Les Atlantes (81), vu à la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, le 19 juillet à 22 h dans le cadre du festival d’Avignon 2025.

  • Texte et mise en scène : Cyrille Atlan
  • Interprétation : Cyrille Atlan
  • Compositeur et musicien : Pascal Demonsant
  • Marionnettiste/ Régie plateau : Gaëlle Pasqualetto
  • Genre : Théâtre contemporain
  • Durée : 1 h 20
  • Public : à partir de 14 ans

 

La pièce évoque le parcours d’une femme qui passa 40 ans de sa vie en internement psychiatrique, mère de 5 enfants, et qui souhaitait si ardemment divorcer. Il s’agit de réveiller un pan de la mémoire familiale enfoui. Car on tait la folie, on la met dans un coin d’ombre et surtout on l’oublie.

 

C’est l’histoire d’Henriette, l’arrière-grand-mère de l’autrice, internée à l’hôpital psychiatrique de Montperrin à Aix-en-Provence, de 1930 à 1970. L’autrice/actrice nous raconte qu’elle a été visitée par son aïeule en songe, et que celle-ci lui a demandé de la libérer. Elle va donc mener son enquête, retrouver le dossier médical, découvrir les quelques notes d’observations écrites par les médecins pendant son hospitalisation, une ou deux lettres du mari, ses frères et sœurs, puis les enfants d’Henriette et les raisons de cet internement d’office si long. A partir de ce maigre dossier, elle retrace les événements de cette vie oubliée puis elle décide d’entendre sa demande. Elle écrit un texte pour elle, avec elle ? Lui donnant la parole et va jusqu’à l’incarner devant nous.

C’est la grande force de ce spectacle auquel nous assistons comme à un rituel. L’autrice invente une langue.  Cette parole donnée, Henriette s’en empare. Et comme tout schizophrène, elle recrée le langage, par néologisme, en altérant le sens des mots, en jouant avec la syntaxe, les déclinaisons et les temps. Cette poétique du verbe, imagée, condensée, altérée, métaphorique parfois, nous plonge dans un bain langagier où nous perdons tout repère. Pour le plus grand bonheur de nos oreilles gourmandes. Je dis Henriette, tellement l’actrice fait corps avec l’évocation de son aïeule. Elle y est toute entière. C’est bien Henriette qui est là avec nous, que nous écoutons dans ses confidences, dans ses divagations.

Et la folie nous devient proche, presque familière. Souvent drôle. Comme si elle rafraîchissait nos manières de voir par trop assurées et rigides. Quelque chose se met à tanguer dans notre être pensant.

Au centre du plateau un théâtre de chiffons. Scénographie inventive avec ses jeux de rideaux qui cachent, dissimulent mais sont aussi autant de surfaces de projection de figures étranges, inquiétantes, jeux d’ombres et de lumière où les marionnettes parfois manipulées à vue, parfois jouant sur les murs de tissu en ombres chinoises. Cela donnent à ressentir le vécu d’effroi et les bribes de pensées d’Henriette.
C’est saisissant à la fois de simplicité et d’horreur devant cette vie presque entièrement plongée dans une solitude habitée de soliloques.
J’émettrai juste un petit regret dans cette mise en scène toute en pudeur et dentelles. C’est la fragmentation du texte en mini séquences ou tableaux qui m’a parue un tantinet excessif. Ce morcellement du temps un peu systématique m’a empêchée de ressentir l’éternité du temps, cet ennui immense qui étire la durée à l’infini, propre aux soins à l’asile psychiatrique quand il héberge ces patients dits chroniques. Eternité tragique qui se résume au final en quelques mots, 40 années d’internement.

Oui regrets parfois d’avoir eu à choisir entre ce qui se voit et ce qui s’entend, et de ne pas avoir pu savourer totalement la poésie d’un texte si créatif, lui faire confiance et le laisser nous toucher le cœur simplement en retraçant cette histoire de vie, si petite, si humble, presque invisible, d’une vie sans histoire. En la libérant aussi de ces voiles qui la murent encore, comme s’ils étaient autant de vestiges de nos consciences tourmentées.

Madeleine Esther

 

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