Esquif [à fleur d’eau]

Note 3 étoiles

Spectacle de la compagnie La Grange aux Belles (44), vu le 12/11/2025 à 10h à la FabriCa (Avignon)

  • Texte : Anaïs Allais Benbouali
  • Mise en scène : Anaïs Allais Benbouali
  • Interprétation : Amandine Dolé (comédienne et violoncelliste), Julia Gomez Valcarcel (comédienne)
  • Composition violoncelle: Amandine Dolé
  • Écriture sonore: Anaïs Allais Benbouali et Sandy Ralambondrainy
  • Réalisation sonore et régie son: Sandy Ralambondrainy
  • Régie génèrale et régie lumière: Daniel Ferreira
  • Type de public : Tout public à partir de 8 ans
  • Genre : théâtre jeune public
  • Durée : 55 minutes

 

Avant d’entrer dans la salle, chaque spectateur pioche dans une corbeille un papier portant un prénom, le mien sera Adama, et prend un masque de sommeil. Le public est face à la scène et aussi installé sur les côtés. Pour tout décor un grand tissu bleu posé sur des structures.

Sur scène, une femme en bottes rouges, robe noire, veste rouge, accompagnée de son violoncelle, nous accueille avec douceur : « Installez-vous confortablement, faites comme chez vous!  ». Et l’évidence apparaît aussitôt : nous avons un “chez-nous”, une chaise à laquelle revenir. Mais l’horizon n’est pas le même pour tous. Pour changer de chaise, certains ont besoin de passeports, de papiers, d’autorisations, de preuves. Une image simple, mais qui dit tout de la chance dont nous bénéficions sans y penser.

Une seconde femme entre en scène, bottes bleues, salopette bleue, maillot blanc : elle est la mer. Elle prend la parole pour rétablir une vérité essentielle : ce n’est pas la mer qui tue. Ce sont les frontières, les murs, les lois humaines qui transforment une traversée en pari mortel. La mer n’engloutit pas par cruauté, elle témoigne.

Les deux comédiennes incarnent alors deux mondes qui se font face et se répondent.
Amandine Dolé, avec ses couleurs rouge et noir, devient le navire ambulance Océan Viking, celui qui repère, recueille, sauve.
Julia Gomez, vêtue de bleu et de blanc, devient la mer qu’on accuse trop facilement, mais qui rappelle qu’elle n’est qu’un passage rendu dangereux par les décisions humaines.

Ensemble, elles nous entraînent dans le monde des migrants, un monde fait de prénoms, de trajectoires interrompues ou suspendues, de rêves tenaces.

Le travail scénique est d’une grande finesse : tissu-océan, théâtre d’objets pour raconter le bateau, lumières qui s’allument comme autant de vies perdues, noms de migrants soufflés comme des prières.

Et il y a ce beau voyage dans les profondeurs de la mer, au fil des prénoms, des histoires, des voix, comme une plongée dans un autre monde. Il y a aussi un geste d’hommage : en redonnant des noms aux victimes de la mer (et pas seulement des chiffres), Esquif remet l’humanité au centre.

Esquif [à fleur d’eau] est une création courageuse et délicate, qui interroge à hauteur d’enfant sans infantiliser. Anaïs Allais Benbouali réussit à transformer un sujet complexe, les migrations et les naufrages, en un conte poétique, puissant, où la mer devient un témoin vivant.

C’est un conte esthétique, poétique, pudique, qui réhumanise les migrants sans les réduire à leur tragédie.
Il dédramatise, oui, au sens où il nous permet d’atteindre le sujet sans être écrasés, mais il éveille, questionne et surtout incite à agir.

 

JDM

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