Un spectacle produit par l’ARCAL et le Concert de la Loge (75), vu au Théâtre de l’Athénée le 21 octobre 2025.
- Musique : Wolfgang Amadeus Mozart
- Livret : Lorenzo Da Ponte
- Mise en scène : Jean-Yves Ruf
- Scénographie : Laure Pichat
- Direction musicale : Julien Chauvin
- Musiciens : Le Concert de la Loge
- Costumes : Claudia Jenatsch
- Lumière : Victor Egéa
- Don Giovanni : Anas Séguin
- Donna Elvira : Margaux Poguet
- Donna Anna : Chantal Santon-Jeffery
- Don Ottavio : Abel Zamora
- Le commandeur : Nathanaël Tavernier
- Leporello : Adrien Fournaison
- Zerlina : Michèle Bréant
- Mazetto : Louis de Lavignère
- Chœur : Naomi Couquet, Ulysse Naomi, Samuel Guibal, Félix Ramos.
- Genre : Opéra
- Public : Adulte
- Durée : 3H10 avec entracte
Mélomane, je n’ai pas les moyens d’aller à l’opéra. Quand une salle de spectacles a l’heureuse idée d’en programmer un, je me précipite. C’est ce que j’ai fait pour « Don Giovanni », à l’Athénée. Un régal de prouesses et de simplicité.
« Don Giovanni », je l’écoute en boucle sur mon vieux CD, depuis des années. Ne parlant pas l’italien, ce qui ne m’était pas bien familier, c’était le livret de Da Ponte. Quelle claque ! Toute la condition féminine y est écrite à qui veut bien l’entendre. Première prouesse, Jean-Yves Ruf l’a fait ! Entendre l’histoire de ces trois femmes – Donna Anna, Donna Elvira et Zerlina- pour la faire résonner avec les combats féministes actuels. Or, ces trois-là ne sont qu’un précipité des 1800 femmes du catalogue des conquêtes de Don Giovanni. Ce « serial lover» a pour lui pouvoir et argent : bref, les deux ingrédients essentiels à la manipulation et à l’abus. Les femmes en sont les principales victimes, mais pas que. Son valet Leporello en est théâtralement le témoin : pour se débarrasser de Donna Elvira, Jean-Yves Ruf a demandé à Anas Séguin, le superbe Don Giovanni, de manipuler Adrien Fournaison, alias Leporello, aussi naïf que corrompu, comme s’il s’agissait d’un pantin.
Deuxième prouesse, faire tenir les 35 musiciens du Concert de la loge et les 12 chanteurs sur le petit plateau de l’Athénée. La scénographe Laure Pichat a conçu un dispositif d’une simplicité enfantine. Plutôt que de cacher l’ensemble musical dans la fosse, elle a mis tout le monde sur scène, au même titre que les chanteurs. Elle a dédoublé l’espace grâce une passerelle ; laquelle fait tout aussi bien office de coupe gorge que de chambre à violer, ou d’intérieur de maison. Si les chanteurs y évoluent beaucoup, ils jouent aussi au milieu et avec l’orchestre ; lequel n’est pas en reste. Durant la fête que donne Don Giovanni pour mieux séduire de toutes jeunes femmes de condition inférieure, les musiciens revêtent des masques de papier et dansent avec tous les convives. Les costumes contemporains, modestes, se prêtent parfaitement à ce mélange. Cette abolition des hiérarchies, dans ce bel écrin à l’italienne superbement éclairé, opère comme un miracle d’intimité.
Troisième prouesse, le jeu musical, vocal et théâtral. Il est une synergie entre tous, qui communique un plaisir fou à la salle. Les musiciens jouent sur instruments anciens. Mention spéciale à Julien Chauvin qui assure à la fois les fonctions de directeur musical et de premier violon. Merci au joueur de pianoforte qui m’a fait découvrir les intermèdes musicaux, partiellement improvisés, qui accompagnent les récitatifs. Les chanteurs s’expriment en voix naturelle. Ils incarnent leur personnage avec toute la palette d’émotions qui caractérise la complexité de leur rôle. L’abject côtoie la frivolité ; la métaphysique, l’humour.
Alors oui, si l’on voulait pinailler, on pourrait le faire sur quelques moments musicaux ou théâtraux. Mais l’ensemble est tellement frais et enlevé que je ne m’y adonnerai pas. La salle ne s’y est pas trompée et a ovationné longtemps ce « Don Giovanni » diablement beau, rassérénant et intelligent.
Catherine Wolff